Paru en France en 2021
Quelque part dans l’immensité cosmique qui sépare le conte philosophique de la science-fiction navigue une œuvre bien singulière, La nuit du faune. Le lecteur y trouvera une réflexion poétique autour de questions existentielles, mais aussi du sense of wonder spatial à ne plus savoir qu’en faire puisqu’à chaque page Romain Lucazeau nous offre un concept d’espace ou de temps toujours plus gigantesque.
Nous suivons le voyage d'Astrée, immortelle fillette lassée de sa propre connaissance du monde, et du faune Polémas, créature d’un peuple récent, avide de savoir. Ensemble, et bientôt accompagnés du robot Alexis, ils parcourent la Voie Lactée à la recherche d’une réponse. Quelle civilisation a su se maintenir sans se transformer au point de devenir étrangère à elle-même, ou sans sombrer dans l’entropie ? Comment, au final peut-on éviter la mort, que ce soit celle du corps ou de l’esprit ? Face à l'immensité, tout semble si petit et vain, au point que la seule contemplation du réel se mue en souffrance. On ne peut s'empêcher de faire le parallèle avec notre recherche scientifique actuelle, glaçant les obscurantismes.
A la manière de poupées gigognes, les voyageurs rencontrent des formes de vie toujours plus gigantesques et inconcevables surpassant les précédentes, des guerres éclipsant les concepts de temps et d’espace, des mondes virtuels ayant abandonné toute racine biologique ou même robotique, et bien plus encore, avec force révélations. Les échelles avancées, démesurées, font écho à celles d’autres grands auteurs de SF, le Clifford D. Simak de Demain les chiens, le Andreas Eschbach de Des milliards de tapis de cheveux, ou plus récemment le Charles Stross d'Accelerando. L’aspect scientifique, avec une documentation évidente de l’auteur autour de la physique quantique, ne fait pas non plus défaut. On pardonnera sur les derniers chapitres quelques idées qui semblent plusieurs fois malaxées.
Bien sûr, presque chaque rencontre est aussi une métaphore des choix actuels de l’humanité. Le repli sur soi, l’absorption ou la transformation. L’autodestruction via la pollution. La connaissance du réel si avancée et si terrifiante qu’elle signe le retour de cultes rassurants. L’association de peuples ou l’éternelle guerre. Le savoir comme une malédiction.
Bien plus court que son diptyque Latium, ce nouvel ouvrage de Romain Lucazeau laisse néanmoins une vertigineuse impression de densité. Si l’on sent l’écriture tissée sur un minutieux canevas, risquant peut-être le manque de tripes, de spontanéité, jamais elle n’échoue dans le didactique lénifiant. Les seuls concepts avancés, qui réunissent en un conte bien des idées de science-fiction, nous rappellent ce à quoi est destinée cette dernière. Prendre une claque. Digérer ce qu’on a lu. En sortir vacillant. Un chef d’œuvre ? Un chef d’œuvre.
Vous pouvez écouter en cliquant ici un épisode du podcast "C'est plus que de la SF" où l'auteur évoque son ouvrage.
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