Paru en France en 2014

De Volodine je ne connaissais que Avec les moines soldats, écrit sous son alias Lutz Bassman. Autant ce dernier emporte immédiatement le lecteur dans son univers onirique sombre, autant Terminus radieux, qui a obtenu le prix Médicis en 2014, est un lent voyage. Il demande un certain temps pour se raccrocher au train. Un train qui d’ailleurs est présent dans le récit, roule de manière quasi éternelle à travers une taïga sans fin, à la recherche d’un hypothétique camp soviétique, ou ce qu’il en resterait.

Mais l’essentiel du roman prend pour décor Terminus radieux, un kolkhoze (ferme collective) surréaliste et perdu dans la taïga dont les habitants ne sont ni morts ni vivants, mais demeurent fidèles à quelques grands principes communistes et féministes, du moins en apparence. Le temps s’y étire et se déroule bien après une Deuxième Union Soviétique, après la guerre contre le capitalisme et après des accidents nucléaires qui ont irradié, semble-t-il, chaque coin du monde.

- Dans la vieille forêt, il t’a vu en train de faire du mal à Samiya Schmidt.
- Il était même pas là-bas, objecte Kronauer sans conviction.


Terminus radieux abrite les habitants épargnés – plus ou moins - par les radiations de sa pile nucléaire qui s’est enfoncée dans le sol et à laquelle on fait des offrandes. Mais ce n’est que pour mieux tomber sous le joug de Solovieï, président du kolkhoze décrit comme un paysan occultiste, poète cruel capable de visiter les rêves et de manipuler les âmes, la région entière n’étant finalement que sa propre pièce de théâtre dont il manipule les personnages. Il entretient avec ses trois filles une relation entre possession et inceste, et enregistre sur des rouleaux de cire des poèmes abscons, que l’on retrouve en partie dans le roman.

Je ne sais même plus si j’ai déraillé ou non des principes marxistes, pensa-t-il. Puis il n’y pensa plus.

Le lecteur suivra l’arrivée de Kronauer, ex soldat soviétique, lui aussi ni vraiment mort, ni vraiment vivant, à Terminus radieux, et la manière dont il se condamne dans cette réalité proche du rêve. L’histoire est hypnotique, hallucinée, avec une mise en abîme autour du pouvoir de l’auteur sur la substance d’un récit, et même quelques passages à la première personne. Antoine Volodine semble questionner sa propre plume, être lui-même un Solovieï cruel jouant à enfermer des personnages dans une immortalité subie qui dure des milliers d’années. On retrouve aussi en creux la notion d’amour, puisque partout ceux qui auraient pu s’aimer – amour fraternel, amour filial, couples, camarades – ne s’aimeront jamais vraiment. Comme si l’atmosphère post-communiste imprimait une solitude en chacun, isolé dans ce qui finalement est une lente agonie. Il semble que l’on ressent, par moment, la propre solitude de l’écrivain.

Une porte enduite d’un velours de petites flammes immobiles. Parfois le clapotis de l’eau très-noire, qui s’énerve toute seule. L’enfer atomique derrière la porte.

Les ouvrages de Volodine sont des leçons d’écriture. Il nous plonge dans le récit comme dans un rêve, et parvient d’une manière extraordinaire à se rendre précis dans l’imprécision, à se jouer du temps qui passe tout en le définissant, à tordre les règles de l’écriture et des répétitions. Terminus radieux est un long poème en prose, incantatoire, sublime.