L’engouement
autour du livre - qui a obtenu le prix Planète SF des blogueurs, est mérité. Notre part de nuit est une fresque
fantastique de plus de 750 pages qu’il serait dommage de manquer.
Même
si le lecteur manque d’appétence pour le thème de l’occulte, ce qui pourra le
faire douter sur les premières pages, le roman happe assez rapidement et embarque dans un récit choral, glaçant, mais qui jamais ne sombre dans l’escalade de gore qu'on aurait pu attendre, préférant semer l'horreur par touches acérées. Et c’est peut-être ce qui le rend
plus terrifiant encore. Cela faisait longtemps que certaines scènes ne m’avaient
pas mis aussi mal à l’aise. L’ensemble est plus dérangeant qu’un Stephen King,
auquel le livre peut-être comparé par moment, notamment lorsque l’histoire se
penche sur un groupe d’adolescents.
Nous
commençons par suivre Juan, père veuf qui, avec son jeune fils Gaspar, fuit à
travers l’Argentine des années 1980 une terrifiante belle famille. Le livre s’ouvre
ainsi avec un personnage qui en sait plus que le lecteur, et où de sombres
rituels, ou encore la vision des morts sont seulement esquissés. La relation
père-fils, avec un Juan qui oscille entre protection et tyrannie cruelle, est
superbement rendue.
Mariana
Enriquez finit par en dévoiler davantage sur cette secte occulte internationale, se livrant à des pratiques atroces pour entrer en contact avec des dieux anciens. Torture
d’enfants en bas âge, mutilations de fidèles, le tout sous la férule froide de
la grand-mère de Gaspar, Mercedes. Des perversions brutes, sans emphase, une monstruosité
crue, au service d’objectifs inavouables.
Le
lecteur sera emporté dans le passé pour y découvrir la jeunesse de Juan et de
sa femme Rosario, avec ce passage dans une Angleterre branchée et hippie des années 1960. Juan,
insuffisant cardiaque, fragile et fort en même temps, blond, beau et grand,
adopté par la secte et exploité comme medium pour les contacts occultes. Si
puissant qu’il échappe au contrôle et cache une partie de ces capacités, puis
celles de son fils, quitte à le blesser pour lui épargner le même sort. L'idée de sacrifice sera omniprésente, tant du côté de la secte que parmi ceux qui lui échappent.
Nous
revenons ensuite vers l’adolescence de Gaspar et des camarades de sa génération.
Cette fois le lien avec le lecteur s’est inversé, c’est lui qui en sait
davantage que le personnage, à qui l’on a caché les terribles secrets de sa
famille. Au point qu’on brûle de le prévenir, dans cette Argentine qui a glissé
de la dictature péroniste aux années sida.
Notre
part de nuit est conçu à l’image de son univers. Le fantastique horrifiant pousse
sous le voile du réel comme sous chaque page, et crève par moment la frontière
pour s’exposer, immonde. Et puis à nouveau, la terreur ne se fait plus qu’embusquée,
mais elle ne disparait jamais vraiment. Un souffle rare, vertigineux, et des personnages
avec une épaisseur comme on en voit trop rarement.
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