Paru en France en 2021


L’engouement autour du livre - qui a obtenu le prix Planète SF des blogueurs, est mérité. Notre part de nuit est une fresque fantastique de plus de 750 pages qu’il serait dommage de manquer.

 

Même si le lecteur manque d’appétence pour le thème de l’occulte, ce qui pourra le faire douter sur les premières pages, le roman happe assez rapidement et embarque dans un récit choral, glaçant, mais qui jamais ne sombre dans l’escalade de gore qu'on aurait pu attendre, préférant semer l'horreur par touches acérées. Et c’est peut-être ce qui le rend plus terrifiant encore. Cela faisait longtemps que certaines scènes ne m’avaient pas mis aussi mal à l’aise. L’ensemble est plus dérangeant qu’un Stephen King, auquel le livre peut-être comparé par moment, notamment lorsque l’histoire se penche sur un groupe d’adolescents.

 

Nous commençons par suivre Juan, père veuf qui, avec son jeune fils Gaspar, fuit à travers l’Argentine des années 1980 une terrifiante belle famille. Le livre s’ouvre ainsi avec un personnage qui en sait plus que le lecteur, et où de sombres rituels, ou encore la vision des morts sont seulement esquissés. La relation père-fils, avec un Juan qui oscille entre protection et tyrannie cruelle, est superbement rendue.

Mariana Enriquez finit par en dévoiler davantage sur cette secte occulte internationale, se livrant à des pratiques atroces pour entrer en contact avec des dieux anciens. Torture d’enfants en bas âge, mutilations de fidèles, le tout sous la férule froide de la grand-mère de Gaspar, Mercedes. Des perversions brutes, sans emphase, une monstruosité crue, au service d’objectifs inavouables.

 

Le lecteur sera emporté dans le passé pour y découvrir la jeunesse de Juan et de sa femme Rosario, avec ce passage dans une Angleterre branchée et hippie des années 1960. Juan, insuffisant cardiaque, fragile et fort en même temps, blond, beau et grand, adopté par la secte et exploité comme medium pour les contacts occultes. Si puissant qu’il échappe au contrôle et cache une partie de ces capacités, puis celles de son fils, quitte à le blesser pour lui épargner le même sort. L'idée de sacrifice sera omniprésente, tant du côté de la secte que parmi ceux qui lui échappent.

 

Nous revenons ensuite vers l’adolescence de Gaspar et des camarades de sa génération. Cette fois le lien avec le lecteur s’est inversé, c’est lui qui en sait davantage que le personnage, à qui l’on a caché les terribles secrets de sa famille. Au point qu’on brûle de le prévenir, dans cette Argentine qui a glissé de la dictature péroniste aux années sida.

 

Notre part de nuit est conçu à l’image de son univers. Le fantastique horrifiant pousse sous le voile du réel comme sous chaque page, et crève par moment la frontière pour exploser, immonde. Et puis à nouveau, la terreur ne se fait plus qu’embusquée, mais elle ne disparait jamais vraiment. Un souffle rare, vertigineux, et des personnages avec une épaisseur comme on en voit trop rarement. 

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