Paru en France en 2002

Pour une fois je vais évoquer un livre que je n’ai pas aimé, mais qui reste intéressant par bien des aspects. K.W. Jeter, l’un des précurseurs du steampunk, nous offre pourtant un ouvrage des plus alléchants. Le titre, la couverture, le pitch donnent envie.

Noir nous plonge dans Los Angeles fantasmé pas si éloigné de notre époque, où nous suivons l’enquête de McNihil, ex flic en freelance. McNihil est l’archétype du détective désabusé. Nostalgique d’une époque révolue, il s’est fait remplacer les yeux afin de voir le monde en noir et blanc, comme dans un vieux film. Mais ce n’est pas seulement une question de couleurs : il voit aussi le design des objets altéré. Un téléphone ultra-moderne aura l’air d’un vieux combiné à cadran. Mais l’idée est amenée avec un manque cruel de crédibilité – si la forme des objets change uniquement au visuel, quid du toucher ? – sans pour autant être totalement métaphorique... Bref, ce n’est pas très clair.

Mais l’une des idées maîtresses du roman, c’est surtout cette lutte pour les droits d’auteurs quelque peu nauséabonde, d’autant que pour le peu que j’ai lu à son propos, K.W. Jeter serait un farouche opposant au piratage et donc partisan des idées qu’il met en avant. Faut-il y voir du faux fascisme à prendre aux douzième degré ? J’ai un léger doute. McNihil traque les pirates qui font des copies de musiques ou de films. La copie est présentée dans l’ouvrage comme l’assassinat de la culture, du livre en particulier. McNihil attrape donc des ados qui ont fait des doubles d’un bouquin ou d’une vidéo. Dans des scènes parmi les plus insoutenables que j’ai pu lire, il les emballe dans du cellophane, les torture, leur arrache les organes sans les tuer, puis intègre leur cerveau à un matériel électronique – une chaîne hi-fi par exemple. Le contrevenant est ainsi contraint d’être conscient, éternellement puni à l’intérieur d’une machine.

Reste l’enquête sur fond de complot – le classique du commanditaire finalement impliqué lui aussi – et cette ambiance sale, tout au long de l’ouvrage, parfaitement bien rendue. Le mélange de cyberpunk à base d’implants, de ville privilégiée au milieu d’une masse touchée par la crise et la décadence économique, et cette vision « années 1950 » de McNihil laisse une impression unique, dérangeante.


Noir est un livre qui ne laisse pas indifférent. Si pour ma part il m’a fait réagir de manière presque épidermique, c’est peut-être qu’il a réussi son pari, après tout. Reste qu’avec un rythme inégal, des idées pas toujours cohérentes et un fond fascisant qu’on ne sait comment interpréter, K.W. Jeter semble passer à côté du chef d’oeuvre qu’aurait pu être le roman.