Paru en France en 2011
Du même auteur : Gueule de Truie

Cette chronique est déjà parue dans la revue numérique Frontières

Mordre le Bouclier est le deuxième roman de Justine Niogret, la suite directe de son Chien du Heaume qui avait reçu un accueil plutôt favorable. Nous y retrouvons la mercenaire Chien, dans le castel de broe où elle nous avait laissé sur une quête inachevée : celle de son propre nom.

Comme Chien du heaume, Mordre le bouclier ne verse pas dans la fantasy légère, ni même dans la fantasy du tout tant l’ouvrage nous immerge dans un Moyen Age sombre et réaliste. L’époque est définie autour de l’une des premières croisades contre les Maures, dans une Europe qui voit le retour des croisés survivants. L’aspect glauque, boueux, sanglant demeure central, accentué jusqu’à en devenir obsédant, comme une chape pesant sur le récit. Les descriptions de charniers, de blessures, les souvenirs de viols ou de violences se succèdent pour former une ambiance totale plus noire que mystique, au contraire du premier tome. Des images restent après lecture, comme ce bandit qui agresse Chien, et dont les plaies au visage mal refermées accueillent des œufs d’insectes.

Chien découvre assez rapidement son véritable nom, et le lecteur réalise que ce n’est plus, que ça n’a peut-être jamais été la véritable quête de l’héroïne. La mercenaire, ses doigts coupés remplacés par des griffes de métal, accompagne alors la grande guerrière Bréhyr dans son chemin vers la vengeance. Il faut tuer Hérôon, le dernier homme vivant qui a maltraité Bréhyr quant elle était enfant. Le thème de l’enfance revient régulièrement dans le récit. Chien et Bréhyr sont toutes deux façonnées par leur passé.
Sur le chemin les deux femmes rencontrent un autre couple d’êtres brisés : le croisé Saint-Roses, qui a perdu une jambe et un dieu à la bataille, et la Petite, une arbalétrière blessée par la vie. Ensemble ils attendront dans le Tor un inévitable dénouement à leur parcours. Car c’est bien du destin dont il s’agit, et même quand le mot n’est pas prononcé, il sourd de l’œuvre comme une force qui pousse les personnages vers une implacable conclusion.

Plus introspectif encore que le premier volume, Mordre le Bouclier explore l’âme de ses personnages. Si l’on soupçonnait que Chien était un Berserker, un guerrier qui sous la colère déclenche une furie destructrice et incontrôlable, le thème est abordé très subtilement pour éviter les poncifs fantasy. La rage de Chien est autant tournée vers elle-même que vers ses ennemis, et son talent ne sort jamais du réaliste pour tomber dans le pouvoir magique. On retiendra l’image forte de Chien broyant une vitre à mains nues, déchirant la chair de ses paumes, en réponse à un homme qui l’a insultée sans y penser.
La femme à la hache est aussi plus passive que dans Chien du Heaume. Son nom obtenu, elle se laisse porter par les événements et par Bréhyr. Elle découvre le monde autant qu’elle l’affronte, parcourt une ville pour la première fois, goûte de nouveaux mets, apprends des récits de ses compagnons et tente même de se faire une idée de la religion auprès de Saint-Roses. Un parcours initiatique, un road-trip des temps obscurs qui comme tous les road-trip ne mènent qu’à une seule et unique découverte, celle de soi-même.


Cette orientation délibérée est pourtant à double tranchant. A force de symbolique et d’introspection, on perd certains éléments qui faisaient le sel du tome initial. Les personnages secondaires n’ont plus la saveur d’une méchante Noalle que l’on adorait détester ou d’un Bruec ferme et paternel. Dans Mordre le Bouclier, les personnages doutent, philosophent, sont à la fois plus vrais et moins jouissifs. Même chose pour cette quête du nom qui nous tenait en haleine remplacée par une quête de soi avec un suspense moindre. Mais tout ceci est pinaillage face à la force de Justine Niogret : son style. Rythme et tournures tombent juste comme un poème en prose, une geste. Il y a juste ce qu’il faut de termes médiévaux pour nous plonger dans l’ambiance, et les citations en début de chaque chapitre, parfois tirées de chansons, font mouche. Le glossaire amusant et la postface de Jean-Philippe Jaworski complètent le tout à merveille. Une suite, c’est tout ce que l’on demande.

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