Cette chronique est déjà parue dans la revue numérique Frontières
Mordre
le Bouclier est le deuxième roman de Justine Niogret, la suite directe de son
Chien du Heaume qui avait reçu un accueil plutôt favorable. Nous y retrouvons
la mercenaire Chien, dans le castel de broe où elle nous avait laissé sur une
quête inachevée : celle de son propre nom.
Comme
Chien du heaume, Mordre le bouclier ne verse pas dans la fantasy légère, ni
même dans la fantasy du tout tant l’ouvrage nous immerge dans un Moyen Age
sombre et réaliste. L’époque est définie autour de l’une des premières
croisades contre les Maures, dans une Europe qui voit le retour des croisés
survivants. L’aspect glauque, boueux, sanglant demeure central, accentué
jusqu’à en devenir obsédant, comme une chape pesant sur le récit. Les
descriptions de charniers, de blessures, les souvenirs de viols ou de violences
se succèdent pour former une ambiance totale plus noire que mystique, au
contraire du premier tome. Des images restent après lecture, comme ce bandit
qui agresse Chien, et dont les plaies au visage mal refermées accueillent des œufs
d’insectes.
Chien
découvre assez rapidement son véritable nom, et le lecteur réalise que ce n’est
plus, que ça n’a peut-être jamais été la véritable quête de l’héroïne. La
mercenaire, ses doigts coupés remplacés par des griffes de métal, accompagne
alors la grande guerrière Bréhyr dans son chemin vers la vengeance. Il faut
tuer Hérôon, le dernier homme vivant qui a maltraité Bréhyr quant elle était
enfant. Le thème de l’enfance revient régulièrement dans le récit. Chien et
Bréhyr sont toutes deux façonnées par leur passé.
Sur
le chemin les deux femmes rencontrent un autre couple d’êtres brisés : le
croisé Saint-Roses, qui a perdu une jambe et un dieu à la bataille, et la
Petite, une arbalétrière blessée par la vie. Ensemble ils attendront dans le
Tor un inévitable dénouement à leur parcours. Car c’est bien du destin dont il
s’agit, et même quand le mot n’est pas prononcé, il sourd de l’œuvre comme une
force qui pousse les personnages vers une implacable conclusion.
Plus
introspectif encore que le premier volume, Mordre le Bouclier explore l’âme de
ses personnages. Si l’on soupçonnait que Chien était un Berserker, un guerrier
qui sous la colère déclenche une furie destructrice et incontrôlable, le thème
est abordé très subtilement pour éviter les poncifs fantasy. La rage de Chien
est autant tournée vers elle-même que vers ses ennemis, et son talent ne sort
jamais du réaliste pour tomber dans le pouvoir magique. On retiendra l’image
forte de Chien broyant une vitre à mains nues, déchirant la chair de ses
paumes, en réponse à un homme qui l’a insultée sans y penser.
La
femme à la hache est aussi plus passive que dans Chien du Heaume. Son nom
obtenu, elle se laisse porter par les événements et par Bréhyr. Elle découvre
le monde autant qu’elle l’affronte, parcourt une ville pour la première fois,
goûte de nouveaux mets, apprends des récits de ses compagnons et tente même de
se faire une idée de la religion auprès de Saint-Roses. Un parcours initiatique,
un road-trip des temps obscurs qui comme tous les road-trip ne mènent qu’à une
seule et unique découverte, celle de soi-même.
Cette
orientation délibérée est pourtant à double tranchant. A force de symbolique et
d’introspection, on perd certains éléments qui faisaient le sel du tome
initial. Les personnages secondaires n’ont plus la saveur d’une méchante Noalle
que l’on adorait détester ou d’un Bruec ferme et paternel. Dans Mordre le
Bouclier, les personnages doutent, philosophent, sont à la fois plus vrais et
moins jouissifs. Même chose pour cette quête du nom qui nous tenait en haleine
remplacée par une quête de soi avec un suspense moindre. Mais tout ceci est
pinaillage face à la force de Justine Niogret : son style. Rythme et
tournures tombent juste comme un poème en prose, une geste. Il y a juste ce
qu’il faut de termes médiévaux pour nous plonger dans l’ambiance, et les
citations en début de chaque chapitre, parfois tirées de chansons, font mouche.
Le glossaire amusant et la postface de Jean-Philippe Jaworski complètent le
tout à merveille. Une suite, c’est tout ce que l’on demande.
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2011,
Fantasy,
Héroic-fantasy
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