Paru en France en 2014
Autres livres de Jeff Noon : Vurt

Dernier ouvrage de Jeff Noon paru en France, Intrabasses renoue avec l’univers scandé et hallucinatoire des débuts de l’auteur. J’ai bien sûr apprécié Pollen, Nymphormation ou Descendre en marche. Mais avec Intrabasses, j’ai eu l’impression de reprendre la claque immense que m’avaient balancé Vurt et le recueil de nouvelles Pixel Juice.

Intrabasses est rédigé sans majuscules, avec pour seule ponctuation des slashs entre les propositions, comme des mesures sur une portée. Etrangement, cela rend la lecture presque plus fluide. L’idée que tout l’ouvrage n’est qu’une longue ligne de basse s’impose vite à l’esprit.
Jeff Noon retombe dans cet écriture brute, ce voyage entre musique et drogue qui faisait le sel de Vurt, et qui rappelle un accouplement entre le film Trainspotting et une biopic de groupe, au genre peu défini, entre samples électro et véritables instruments.

Nous suivons le bassiste Elliot depuis son intégration aux Glam Damage, groupe de Manchester à la fois génial et paumé. Donna, Jody et Elliot vivent ensemble dans la maison du batteur 2spot. Et c’est l’histoire de ce dernier qui constitue le cœur du roman, histoire vue par les yeux d’Elliot.
Car 2spot, le batteur taiseux, a une part d’ombre, s’éclipse régulièrement sans dire où il se rend, pas même à sa compagne Donna, la chanteuse noire que convoite Elliot. Peu à peu se dévoile le passé de 2spot, cette histoire familiale où son père et son grand père se déchirent à travers deux conceptions de la musique, où punk et glamour s’opposent, haine et amour.
Et Elliot, dans tout ça, qui s’insère dans le trip, qui finit par devenir une sorte de 2spot bis, y compris dans ses sentiments, y compris par le sang, comme on le verra à la fin. Basse ou batterie, il faut choisir.

La part fantastique d’Intrabasses, c’est cette nouvelle technologie : une sphère contenant un liquide où l’on enregistre les morceaux. Chaque fois que Jody remue l’objet, le morceaux est remixé, sublimé un peu plus. Sauf que Jody va trop loin, et qu’elle fait ingérer le liquide au groupe, se l’injecte dans les veines. Cette chanson-drogue rappelle les plumes de Vurt, et propulse les personnages dans des rêves collectifs. On retrouve d’ailleurs un clin d’œil au maître chat.

Intrabasses est surprenant par sa clarté et sa simplicité. Pas de paraboles, de message à déchiffrer ou de critique de la société comme on a pu en lire dans d’autres Noon. Le scénario est une ligne évidente, plus simple encore que celui de Vurt. Trop simple ? Elliot, l’évolution du groupe, l’histoire de 2spot. Rien de plus. Et pourtant, il y a cette impact des mots, plus fort que jamais. La traduction est à saluer, car ce sentiment qu’un auteur utilise davantage une table de mixage qu’une plume ne doit pas être évident à retranscrire.

jésus au fond du sillon / si j’ai attendu ça / toute ma vie, je crois / tous les projets sans issue, les concerts foireux / les chanteurs répugnants, les chansons de merde / les contrats pourris / la défonce et l’alcool et le blues à la manque / les minables marchands de batterie / toute cette merde / enfin, enfin / de l’amour sur les peaux, pour de vrai, où glisser mes injections de basse


Intrabasses, c’est le retour de Jeff Noon vers le trip brut de décoffrage, façon Vurt. Plus musicale que jamais, l’écriture expérimentale sert le contenu et évite d’en faire des caisses ou de tomber dans l’écueil du conceptuel autosuffisant. Nous sommes dans un poème en prose. Un poème rock’n’roll sous amphétamines, remixé dans quelque sphère magique. On referme le bouquin, vaguement en manque.



Note : Un CD est fourni avec l’édition originale du livre, mixé par David Toop et Jeff Noon. Il se laisse écouter, mais ne correspond pas à ce que j’imaginais à lecture du livre, où la musique est davantage décrite comme une musique de club, dansante.

3 commentaires :

  1. Ce bouquin a l’air d’être un sacré OVNI !

  2. Sylvain says:

    Il fait quelle taille ?

  3. Phil says:

    Il est assez court, peut se lire en quelques jours, voire quasiment d'une traite si on s'y met à fond. Très fluide, pas d'ennui. Et comme tous les Noon, qui est le ou l'un de mes auteurs préférés, je recommande chaudement.