Autre livre de Thierry Di Rollo : Meddik
Paru en France en 2018

Bankgreen est rangé en fantasy, il pourrait aussi l’être en planet opera. Dans les deux cas, l’ouvrage est à l’étroit dans les étiquettes. Tout simplement car il ne verse dans aucun poncif. Bankgreen est du jamais lu, tout simplement. L’intégrale comprend deux romans et une novella, qui suivent l’évolution du monde nommé Bankgreen et de certains de ses personnages, quasi immortels, à travers les siècles.

Tout y a un goût d’intangible étrangeté. Ce monde froid où la neige est appelé nève, ces couleurs mauve et noir par lesquelles on jure, à la manière d’un mantra, tout comme cette phrase sans cesse répétée : « sur Bankgreen, tout a une raison ». Ces oiseaux télépathes. Ces peuples qui s’affrontent : les Digtères à trois doigts, les Arfans, les esclaves Shores... Le tout sous l’oeil des magnifiques Runes, sortes de fées ailées à peau bleue, observatrices et instigatrices. Sans oublier le Nomoron, navire titanesque abritant gnomes et grands rats noirs, qui envoie ses ouvriers racler les fonds à la recherche de combustible. Certains des peuples de Bankgreen disposent de dimensions parallèles où ils peuvent se rejoindre par la pensée, sorte d’équivalent magique d’un univers virtuel.

 

Puis, une seconde fois, un bruit plus franc arrache l’adolescent à toutes ses illusions. A ses corps décapités qui ne peuvent rien lui rappeler et sur lesquels il fait glisser des visages apaisés, moins morts. Pour supporter la souffrance, jour après jour.

 

Nous suivons la trace de Mordred, dernier des varaniers, à savoir chevaucheur de varan. Ce mercenaire presque invincible, qui ne quitte jamais son armure, qui parfois n’est même rien d’autre que cette armure, est capable de voir la mort de ceux qu’il croise. Souvent, c’est lui qui donne cette mort, prétextant qu’elle sera plus douce que celle qui les attendait. Et c’est bien dans cette absence d’empathie que réside tout l’enjeu de Bankgreen. Car c’est avant tout un monde terrible où l’on tue sans état d’âme. La froideur obsessionnelle de Mordred et la résignation des différents protagonistes, ces enfants et peuples entiers que l’on voit souffrir, ces guerres futiles, mettent en lumière, par effet de contraste, les maigres traces d’humanité. Le lecteur les saisit comme des perles au milieu d’un récit noir et terrifiant. Ainsi l’on s’attachera à ce jeune garçon qui accompagnera un temps le varanier, après que ce dernier ait tué ses parents. Le varanier lui-même, à la poursuite perpétuelle d’un manque qu’il ne sait nommer, le souvenir ou peut-être finalement cette fameuse empathie, saura émouvoir.

 

- Je n’ai pas envie de mourir.

- Personne n’en a envie » assène Mordred d’une voix acerbe.

 

L’écriture de Thierry Di Rollo confine à la poésie. Si l’on trouvera quelques longueurs dans le deuxième roman de l’intégrale, le dépaysement est permanent et l’on marche avec l’auteur sur les terres de Bankgreen. Laquelle pourrait finalement être une face sombre de notre propre monde, expurgé de ce qu’il reste de bonheur et d’altruisme. Où, au fond, plus personne ne sait vraiment pourquoi les choses se produisent. Si ce n’est que sur Bankgreen, tout a une raison.

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