Jeff
Noon poursuit sa saga de polars oniriques autour de son détective privé John
Nyquist. Chaque roman est l’occasion d’explorer un nouveau territoire aux
règles folles et chargé de magie.
Après
Un homme d’ombres, dans une ville plafonnée d’ampoules électriques où chaque
personne suit sa propre chronologie, après La ville des histoires où les
habitants sont soumis à des récits littéraires qui guident leurs vies, l’auteur
nous emmène à la campagne.
Notre
détective privé, dans un contexte polar noir et années 1950, suit ainsi les
traces de son père disparu dans le petit village anglais d’Hoxley-sur-la-Vive.
Un jour, un Saint, une contrainte
La
folie onirique prend une nouvelle forme. Dans cette commune, les villageois se
plient aux obligations de chaque Saint du jour, plus ou moins contraignantes.
La Saint Meade impose de se taire et de parler en langue des signes. D’autres
saints obligent à incarner des personnages, à rester chez vous, ou interdisent
de finir vos phrases ou vos actes...
Au
milieu de tout ça un meurtre à résoudre, l’ombre du père, de vieux complots
familiaux autour de malédictions.
Jeff
Noon aurait pu se contenter de la folie, satyre de l’obéissance aveugle à des
traditions, des secrets poisseux propres aux petites communautés, mais il sature
à nouveau son univers de magie, et c’est peut-être un écueil tant cela rend le
tout imprécis.
Quand
le Saint du jour impose de porter un masque, celui-ci adhère à la peau et on ne
peut le retirer. Un autre Saint entoure les villageois d’un
« mouron », un nuage magique qui les cache et prend la couleur de
leurs émotions... Fantômes, possessions, étang avec des pouvoirs, dongeon qui
fait voyager dans le temps et bien sûr ces vrilles végétales qui adhèrent à la
peau ou aux objets...
Trop de magie tue la magie
Si
des auteurs comme Antoine Volodine ou Jacques Abeille parvenaient à rendre avec
brio une ambiance onirique totale, si d’autres manient le fameux réalisme magique où l’impossible ne surprend jamais les personnages, Jeff Noon ne réussit
qu’à moitié l’exercice. On pourra aussi songer aux oeuvres de China Miéville, qui
souvent portent, elles aussi, sur des villes à concepts.
Trop
flottant, vu à travers les yeux d’un personnage quasiment ivre, l’univers
nébuleux grignote l’intrigue
policière qui perd de son intérêt. Le village et
ses alentours jouissent certes d’une ambiance pesante et oppressante, réussie
mais presque attendue pour un thriller rural. Les contrastes urbains des deux
précédents volumes manquent.
Mais
surtout, Jenny-les-Vrilles accentue les défauts déjà présents au début de la
saga John Nyquist. Un détective auquel on ne s’attache pas, qui se contente
d’évoluer au travers de ce qu’il observe sans épaisseur ni émotion. Il est
interchangeable. Les personnages secondaires ne suscitent pas davantage d’empathie.
Leur sort nous indiffère.
Alors
oui, la plume reste assez agréable pour qu’on lise chacune de ces enquêtes,
curieux de savoir ce que réservera la prochaine cité. On en ressort avec le
plaisir d’avoir goûté à une ambiance surréaliste, quoi que déclinaisons d’une
recette initiale, et la déception d’avoir perdu la force acérée du Jeff Noon
des débuts, celui de Vurt, de Pollen, d’Intrabasses ou de Pixel Juice...

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