Paru en France en 2023

Jeff Noon poursuit sa saga de polars oniriques autour de son détective privé John Nyquist. Chaque roman est l’occasion d’explorer un nouveau territoire aux règles folles et chargé de magie.

 

Après Un homme d’ombres, dans une ville plafonnée d’ampoules électriques où chaque personne suit sa propre chronologie, après La ville des histoires où les habitants sont soumis à des récits littéraires qui guident leurs vies, l’auteur nous emmène à la campagne.

 

Notre détective privé, dans un contexte polar noir et années 1950, suit ainsi les traces de son père disparu dans le petit village anglais d’Hoxley-sur-la-Vive.


Un jour, un Saint, une contrainte

 

La folie onirique prend une nouvelle forme. Dans cette commune, les villageois se plient aux obligations de chaque Saint du jour, plus ou moins contraignantes. La Saint Meade impose de se taire et de parler en langue des signes. D’autres saints obligent à incarner des personnages, à rester chez vous, ou interdisent de finir vos phrases ou vos actes...

 

Au milieu de tout ça un meurtre à résoudre, l’ombre du père, de vieux complots familiaux autour de malédictions.

 

Jeff Noon aurait pu se contenter de la folie, satyre de l’obéissance aveugle à des traditions, des secrets poisseux propres aux petites communautés, mais il sature à nouveau son univers de magie, et c’est peut-être un écueil tant cela rend le tout imprécis.

 

Quand le Saint du jour impose de porter un masque, celui-ci adhère à la peau et on ne peut le retirer. Un autre Saint entoure les villageois d’un « mouron », un nuage magique qui les cache et prend la couleur de leurs émotions... Fantômes, possessions, étang avec des pouvoirs, dongeon qui fait voyager dans le temps et bien sûr ces vrilles végétales qui adhèrent à la peau ou aux objets...


Trop de magie tue la magie

 

Si des auteurs comme Antoine Volodine ou Jacques Abeille parvenaient à rendre avec brio une ambiance onirique totale, si d’autres manient le fameux réalisme magique où l’impossible ne surprend jamais les personnages, Jeff Noon ne réussit qu’à moitié l’exercice. On pourra aussi songer aux oeuvres de China Miéville, qui souvent portent, elles aussi, sur des villes à concepts.

 

Trop flottant, vu à travers les yeux d’un personnage quasiment ivre, l’univers nébuleux grignote l’intrigue
policière qui perd de son intérêt. Le village et ses alentours jouissent certes d’une ambiance pesante et oppressante, réussie mais presque attendue pour un thriller rural. Les contrastes urbains des deux précédents volumes manquent.

 

Mais surtout, Jenny-les-Vrilles accentue les défauts déjà présents au début de la saga John Nyquist. Un détective auquel on ne s’attache pas, qui se contente d’évoluer au travers de ce qu’il observe sans épaisseur ni émotion. Il est interchangeable. Les personnages secondaires ne suscitent pas davantage d’empathie. Leur sort nous indiffère.

 

Alors oui, la plume reste assez agréable pour qu’on lise chacune de ces enquêtes, curieux de savoir ce que réservera la prochaine cité. On en ressort avec le plaisir d’avoir goûté à une ambiance surréaliste, quoi que déclinaisons d’une recette initiale, et la déception d’avoir perdu la force acérée du Jeff Noon des débuts, celui de Vurt, de Pollen, d’Intrabasses ou de Pixel Juice...

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