Du même auteur : The City and the City
Ouvrir un roman de China Miéville,
quand on connaît un peu l’auteur, c’est se frotter les mains, on sait que l’on
abordera de nouveaux pans de l’imagination, pas seulement une énième copie d’univers.
Et pourtant, Kraken s’avère un poil décevant, même s’il est un réservoir à
concepts plus farfelus les uns que les autres. Peut-être qu’après les
précédentes oeuvres de l’auteur, l’attente était trop haute ?
Dans Kraken nous suivons Billy
Harrow, responsable des spécimens en bocaux au Centre Darwin, un musée d’histoire
naturelle londonien. Or un spécimen de calmar géant disparaît du jour au
lendemain sans la moindre trace d’effraction. Aussitôt une brigade de police
chargée du paranormal commence à poser d’étranges questions à Billy.
Le lecteur s’attend donc à une
enquête mêlant complot et fantastique dans une Londres contemporaine. Cela
aurait marqué une rupture avec les mondes inventés d’autres romans de Miéville.
Sauf que. Très vite le récit révèle une Londres parallèle envahie de sectes et
de personnages allant du simplement loufoque au grand-guignolesque. Les
personnages – Billy compris - acceptent les situations les plus absurdes sans s’étonner,
et le roman plonge dans une histoire aux logiques décalées, parodiques, avec un
humour noir permanent, comme la version sombre d’un Pratchett. Le côté cité double rappelle The City and the City, mais sans travail d'explication sur l'articulation de la Londres classique avec la Londres ésotérique.
Tandis que Billy tente de découvrir
qui a subtilisé le calmar et pourquoi, des rumeurs d’apocalypse enflent, les
sectes de tout poil s’excitent, comme celle des adorateurs du Kraken dont l’un
des représentants, Dane, accompagne Billy dans sa quête.
Mais plutôt que de nous
accrocher à l’enquête, China Miéville se sert surtout du récit pour nous
présenter un éventail de personnages improbables aux divers pouvoirs, que l’on
appelle « douances » dans son univers. Dans le désordre, nous
croiserons un tatouage vivant qui manipule le punk sur le dos duquel il est
gravé, un type tellement doué en origami qu’il peut plier un humain sans le
tuer, une secte d’armiculteurs qui cultivent des pistolets en semant des balles
dans les corps, un fan de Star-Trek qui s’est tué autant de fois qu’il s’est
téléporté et qui est assailli par ses propres fantômes, des londremanciens qui
lisent dans les entrailles de la ville, des hommes poing, des hommes-radio, des
néo-nazis, un esprit rebelle qui voyage de statues en figurines et qui organise
des piquets de grève pour animaux familiers...
Sans oublier la menace de Goss
et Subby, cet homme et ce petit garçon qui tuent et torturent, incarnations du
mal, ou encore Vardy, policier passionné de religion mais devenu trop
intelligent pour continuer, à son grand désespoir, de croire encore.
Et ce n’est qu’un aperçu tant
il y a de personnages et de situations dans ce registre. Le côté positif, c’est
ce sourire que l’on décroche à chaque fois qu’un nouveau concept loufoque
débarque. Tout est génialement absurde. Le problème, c’est que l’essentiel
arrive comme un cheveu sur la soupe. Les personnages ne servent pas l’intrigue,
c’est l’intrigue qui est dirigée pour les mettre en scène. Par moments, on a
vraiment l’impression que l’auteur est prêt à n’importe quel rebondissement
juste pour arriver d’un point A à un point B. Plus le roman et ses quelques 600
pages avancent, plus on décroche de l’enquête.
Finie la cohérence d’un Perdido
Street Station ou l’intelligence de The City and the City. Kraken est une
succession de sketches géniaux mais enchaînés de manière linéaire, épuisants à
la longue. J’espérais pour ma part une ambiance londonienne mieux rendue. La
deuxième moitié du roman se contente d’action et de dialogues factuels. De plus
la qualité du style semble légèrement inférieure à ce à quoi nous avait habitué
l’auteur. Des tournures sont régulièrement bancales, confuses, laissent penser
à un problème de traduction ou à une volonté de l’auteur de maintenir un flou.
Kraken n’est pas un mauvais
roman. Il fourmille d’idées aussi dingues que malignes, et les personnages sont
inimitables. Mais ce potentiel de chef-d’oeuvre est gâché par un amoncellement
de concepts qui se contentent d’eux-mêmes et ne collent au récit que par des
situations tirées par les cheveux, opportunistes. Un China Miéville en
demi-teinte, donc, un gâchis magnifique. A conseiller aux fans de l’absurde et
aux adorateurs de céphalopodes.
Categories:
2013,
Fantastique
C’est marrant, ta critique a beau être négative, tu m’as donné envie de découvrir ce curieux patchworks tant les personnages ont l’air complètement barrés ! :D
Oui j'ai été assez partagé sur ce bouquin. C'est poussif, j'ai dû forcer sur la fin pour finir, mais les personnages et quelques idées valent le détour. Néanmoins il manque quelque chose, je ne sais pas trop quoi. Peut-être aurait-il fallu un texte plus court, une intrigue plus prenante ? Ou alors je suis devenu trop difficile ^^.
Tiens j'étais curieux envers ce livre mais finalement, je ferais mieux de lire (enfin!!!) "Perdido Street Station" et "The city and the city".
Apprreciate you blogging this