Paru en France en 2013
Cette chronique est publiée dans Frontières n°4


Décadence est le premier roman de Sylas, alias Sylvain Lasjuillarias. L’auteur français ne sévissait jusqu’alors que dans le milieu de la nouvelle.
Avec Décadence, Sylas nous livre un roman difficile à étiqueter. Ce n’est pas de la fantasy au sens médiéval du terme, ce n’est pas vraiment du steampunk ni du planet opéra, ni même du roman policier. C’est un curieux mélange.
Il y a bien de la magie dans Décadence, et même des écoles de magie, mais c’est un surnaturel du quotidien. Les pouvoirs sont utilisés pour renforcer des bâtiments, créer des objets usuels ou affiner des sens. L’histoire se déroule à Twynte, cité verticale cernée de murailles. Les bâtiments de bois et de pierre se construisent les uns sur les autres, et seule la magie permet d’éviter que tout s’effondre, ce qui arrive malgré tout ici et là.

Sylas a travaillé sa cité dans les moindres détails, allant jusqu’à proposer un vocabulaire propre aux déplacements de terrasses en niveaux, avec un glossaire à la fin de l’ouvrage. Dans cette cité si condensée que la rivière qui la traverse en est devenue souterraine, on franchit des coutres, des versoirs, des pas, des déclives ou des manchons, ou bien l’on se déplace sur le dos d’un porteur... Le métal est si rare que la limaille de fer sert de monnaie et les sous-sols regorgent d’Oubliés, ceux dont on se débarrasse et qui se dévorent entre eux. Le temps est décimal si bien que l’on compte en centiheures et déciheures. Bref, Sylas nous dépayse tout en soignant la cohérence d’un monde qui allie structure et rusticité, un peu à la manière des œuvres de China Miéville.

Décadence propose deux récits alternés qui finissent par se rejoindre. D’abord celui de deux enquêteurs, Fahim Lévi le mage devin et son protecteur Carl Bacoul, mage matiériste. Le duo d’enquêteurs aux personnalités différentes est un grand classique toujours plaisant à suivre. Au service d’un Remarquable – un notable de la cité – ils tentent de déjouer un mystérieux trafic d’organes dont il suivent la piste de puis la clinique au centre de Twynte.
Car l’utilisation quotidienne des pouvoirs affaiblit les mages qui, selon la magie qu’ils emploient, finissent par perdre leurs reins, leurs yeux, leurs bras etc. C’est la Décadence. Et une organisation tentaculaire, la Bulle Rouge, pourrait bien pratiquer quelques greffes illégales, voire quelques ablations pas tout à fait nécessaires. Fahim et Carl mettront à jour un véritable complot aux rebondissements multiples, certains convenus, d’autres beaucoup moins.

En parallèle, Sylas nous raconte le parcours de Badia, jeune fille au potentiel magique incroyable et qui décide d’échapper à son destin de mage et à son village natal en se rendant à Twynte. Elle découvrira que ses pouvoirs n’appartiennent pas aux huit branches officielles de la magie, mais à une neuvième strate officieuse et organique. Magie que l’on soupçonne d’être également liée à la Bulle Rouge. L’histoire de Badia est avant tout un récit initiatique, celui d’une jeune fille qui se découvre elle-même.

Le style de Sylas est aussi simple qu’efficace. Pas de grandes envolées littéraires mais un rythme maintenu. L’auteur s’efface pour laisser place à l’enquête. On pourra cependant reprocher quelques points qui auraient pu être affinés, et que l’on attribuera aux imperfections d’un premier roman. Des secrets éventés assez tôt qui retirent quelque peu du suspense sur la dernière partie, ou des personnages que l’on aurait aimé plus présents. Grégor, qui accompagne Badia dans son voyage, ou Sira Bé, guerrière au passé douteux, sont bien campés et manquent dès qu’ils sont évincés de la trame principale. Mais Sylas sait malgré tout faire plaisir à ses lecteurs en réunissant nombre d’ingrédients jouissifs. Le fil conducteur policier qui tient en haleine, le secret des pouvoirs de Badia, et cette cité fourmillante qui brasse faste et misère, qui nous donne envie, à notre tour, de bondir de toit en toit en passant par des timons, des coursis ou des treillis...

Bref, Décadence est un premier roman prometteur. Et tant d’éléments sont esquissés qu’on ne peut qu’espérer une nouvelle aventure dans le même univers qui nous en dévoilerait davantage. Il paraît que ce serait prévu...





Bonus : mini interview de l'auteur
Cinq questions à Sylas

- Peux-tu te présenter en quelques mots, ainsi que tes débuts dans l’écriture ?
 J'ai 34 ans. Vers 20 ans, j'ai commencé à ressentir une démangeaison étrange entre les oreilles. J'avais besoin de m'exprimer. Comme je ne suis pas à l'aise à l'oral, ni dans les arts visuels, je me suis tourné vers la littérature.

- Comment t’es venue l’idée de ce premier roman, et combien de temps pour le mettre en forme ?
 C'est une conjonction de plusieurs influences : les runes de Full Metal Alchemist (le manga). Les différentes magies du jeu de rôle Donjon et Dragon. Mon goût pour le polar et la Science-Fiction. J'ai mélangé tout ça, laissé reposé quelques années et l'univers de Décadence a émergé. Pour être plus précis, l'univers a maturé durant quelques années et l'écriture proprement dite a duré un an, plus un an de corrections et d'améliorations grâce aux retours de quelques "cobayes".


- C’est un roman policier ? De la fantasy ? De l’urban runepunk opéra  ?
 C'est un roman policier. C'est de la fantasy. Ça serait du magicpunk, c'est à dire un monde dont la technologie est uniquement basée sur la magie (à l'instar du steampunk ou du cyberpunk). Sans magie, la civilisation se casse la figure et retourne à l'âge de pierre. On se sert de la magie pour couper, coller, construire, allumer le feu, etc. C'est une magie domestique.


- Tu fais partie d’une nouvelle génération d’auteurs d’imaginaire qui se lancent. Te faire publier a-t-il été un parcours du combattant ?
 Oui et non. J'ai essuyé quelques refus avant d'être accepté par les éditions Asgard, mais ma recherche d'éditeur n'a duré qu'un peu plus d'un an. En même temps, je pense que j'ai eu beaucoup de chance (j'ai rencontré Thomas Riquet, qui bossait alors chez Asgard, sur un salon littéraire) et que la recherche d'éditeur est forcément un parcours du combattant.


- Quels sont tes projets littéraires ?
 En vrac : la suite de Décadence, qui se nommera La Marche Rouge (en cours d'écriture), aux mêmes éditions Asgard. Un roman ado SF/fantastique quasiment fini : Rêves de papier. Et des projets pas encore débutés...

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2 commentaires :

  1. Ce n’est pas raisonnable vu ma ma PAL, mais suite à ton article, je viens d’acheter l’ebook ;) Ca a l’air d’être vraiment un roman passionnant.

  2. Phil says:

    Je ne savais pas qu'il existait en ebook. En tout cas, pour un premier roman, j'ai trouvé que Décadence avait fait l'objet d'un joli travail. Si l'auteur arrive dans ses prochains bouquins à un style un peu moins lisse, plus truculent, ça pourra vraiment donner de l'excellent. Et il ne faut pas oublier d'encourager la nouvelle génération d'auteurs SFFF en achetant leurs titres ! (je prépare le terrain pour moi là ^^)