Décadence
est le premier roman de Sylas, alias Sylvain Lasjuillarias. L’auteur français ne
sévissait jusqu’alors que dans le milieu de la nouvelle.
Avec
Décadence, Sylas nous livre un roman difficile à étiqueter. Ce n’est pas de la
fantasy au sens médiéval du terme, ce n’est pas vraiment du steampunk ni du
planet opéra, ni même du roman policier. C’est un curieux mélange.
Il
y a bien de la magie dans Décadence, et même des écoles de magie, mais c’est un
surnaturel du quotidien. Les pouvoirs sont utilisés pour renforcer des
bâtiments, créer des objets usuels ou affiner des sens. L’histoire se déroule à
Twynte, cité verticale cernée de murailles. Les bâtiments de bois et de pierre
se construisent les uns sur les autres, et seule la magie permet d’éviter que
tout s’effondre, ce qui arrive malgré tout ici et là.
Sylas
a travaillé sa cité dans les moindres détails, allant jusqu’à proposer un
vocabulaire propre aux déplacements de terrasses en niveaux, avec un glossaire
à la fin de l’ouvrage. Dans cette cité si condensée que la rivière qui la
traverse en est devenue souterraine, on franchit des coutres, des versoirs, des
pas, des déclives ou des manchons, ou bien l’on se déplace sur le dos d’un
porteur... Le métal est si rare que la limaille de fer sert de monnaie et les
sous-sols regorgent d’Oubliés, ceux dont on se débarrasse et qui se dévorent
entre eux. Le temps est décimal si bien que l’on compte en centiheures et
déciheures. Bref, Sylas nous dépayse tout en soignant la cohérence d’un monde
qui allie structure et rusticité, un peu à la manière des œuvres de China
Miéville.
Décadence
propose deux récits alternés qui finissent par se rejoindre. D’abord celui de
deux enquêteurs, Fahim Lévi le mage devin et son protecteur Carl Bacoul, mage
matiériste. Le duo d’enquêteurs aux personnalités différentes est un grand
classique toujours plaisant à suivre. Au service d’un Remarquable – un notable
de la cité – ils tentent de déjouer un mystérieux trafic d’organes dont il
suivent la piste de puis la clinique au centre de Twynte.
Car
l’utilisation quotidienne des pouvoirs affaiblit les mages qui, selon la magie
qu’ils emploient, finissent par perdre leurs reins, leurs yeux, leurs bras etc.
C’est la Décadence. Et une organisation tentaculaire, la Bulle Rouge, pourrait
bien pratiquer quelques greffes illégales, voire quelques ablations pas tout à
fait nécessaires. Fahim et Carl mettront à jour un véritable complot aux
rebondissements multiples, certains convenus, d’autres beaucoup moins.
En
parallèle, Sylas nous raconte le parcours de Badia, jeune fille au potentiel
magique incroyable et qui décide d’échapper à son destin de mage et à son
village natal en se rendant à Twynte. Elle découvrira que ses pouvoirs
n’appartiennent pas aux huit branches officielles de la magie, mais à une
neuvième strate officieuse et organique. Magie que l’on soupçonne d’être
également liée à la Bulle Rouge. L’histoire de Badia est avant tout un récit
initiatique, celui d’une jeune fille qui se découvre elle-même.
Le
style de Sylas est aussi simple qu’efficace. Pas de grandes envolées
littéraires mais un rythme maintenu. L’auteur s’efface pour laisser place à
l’enquête. On pourra cependant reprocher quelques points qui auraient pu être
affinés, et que l’on attribuera aux imperfections d’un premier roman. Des
secrets éventés assez tôt qui retirent quelque peu du suspense sur la dernière
partie, ou des personnages que l’on aurait aimé plus présents. Grégor, qui
accompagne Badia dans son voyage, ou Sira Bé, guerrière au passé douteux, sont
bien campés et manquent dès qu’ils sont évincés de la trame principale. Mais
Sylas sait malgré tout faire plaisir à ses lecteurs en réunissant nombre
d’ingrédients jouissifs. Le fil conducteur policier qui tient en haleine, le
secret des pouvoirs de Badia, et cette cité fourmillante qui brasse faste et
misère, qui nous donne envie, à notre tour, de bondir de toit en toit en
passant par des timons, des coursis ou des treillis...
Bref,
Décadence est un premier roman prometteur. Et tant d’éléments sont esquissés
qu’on ne peut qu’espérer une nouvelle aventure dans le même univers qui nous en
dévoilerait davantage. Il paraît que ce serait prévu...
- Peux-tu te
présenter en quelques mots, ainsi que tes débuts dans l’écriture ?
J'ai 34 ans.
Vers 20 ans, j'ai commencé à ressentir une démangeaison étrange entre les
oreilles. J'avais besoin de m'exprimer. Comme je ne suis pas à l'aise à l'oral,
ni dans les arts visuels, je me suis tourné vers la littérature.
- Comment t’es venue
l’idée de ce premier roman, et combien de temps pour le mettre en forme ?
C'est une
conjonction de plusieurs influences : les runes de Full Metal Alchemist
(le manga). Les différentes magies du jeu de rôle Donjon et Dragon. Mon
goût pour le polar et la Science-Fiction. J'ai mélangé tout ça, laissé reposé
quelques années et l'univers de Décadence a émergé. Pour être plus précis,
l'univers a maturé durant quelques années et l'écriture proprement dite a duré
un an, plus un an de corrections et d'améliorations grâce aux retours de
quelques "cobayes".
- C’est un roman
policier ? De la fantasy ? De l’urban runepunk opéra ?
C'est un roman
policier. C'est de la fantasy. Ça serait du magicpunk, c'est à dire un monde
dont la technologie est uniquement basée sur la magie (à l'instar du steampunk
ou du cyberpunk). Sans magie, la civilisation se casse la figure et retourne à
l'âge de pierre. On se sert de la magie pour couper, coller, construire,
allumer le feu, etc. C'est une magie domestique.
- Tu fais partie
d’une nouvelle génération d’auteurs d’imaginaire qui se lancent. Te faire
publier a-t-il été un parcours du combattant ?
Oui et non.
J'ai essuyé quelques refus avant d'être accepté par les éditions Asgard, mais
ma recherche d'éditeur n'a duré qu'un peu plus d'un an. En même temps, je pense
que j'ai eu beaucoup de chance (j'ai rencontré Thomas Riquet, qui bossait alors
chez Asgard, sur un salon littéraire) et que la recherche d'éditeur est forcément
un parcours du combattant.
- Quels sont tes
projets littéraires ?
En vrac : la suite de Décadence, qui se nommera La Marche Rouge
(en cours d'écriture), aux mêmes éditions Asgard. Un roman ado SF/fantastique
quasiment fini : Rêves de papier. Et des projets pas encore débutés...
Ce n’est pas raisonnable vu ma ma PAL, mais suite à ton article, je viens d’acheter l’ebook ;) Ca a l’air d’être vraiment un roman passionnant.
Je ne savais pas qu'il existait en ebook. En tout cas, pour un premier roman, j'ai trouvé que Décadence avait fait l'objet d'un joli travail. Si l'auteur arrive dans ses prochains bouquins à un style un peu moins lisse, plus truculent, ça pourra vraiment donner de l'excellent. Et il ne faut pas oublier d'encourager la nouvelle génération d'auteurs SFFF en achetant leurs titres ! (je prépare le terrain pour moi là ^^)