Le dernier Jeff Noon s’éloigne
quelque peu des thèmes cyberpunk de certains de ses ouvrages passés, quoi qu’il
en conserve une partie de l’ambiance psychédélique et hallucinatoire. Avec Un
homme d’ombres, c’est un polar noir hard-boiled qui est proposé. On sent un jeu
volontaire sur les poncifs puisque le détective privé John Nyquist est typique de l’enquêteur
abrupt et désabusé, gueule cassée portée sur l’alcool et aux pensées amères.
Evidemment ce ne serait pas
du Jeff Noon si l’on n’avait affaire qu’à une intrigue policière. Le point fort
de l’ouvrage est de nous amener dans une cité concept, un peu comme l’avait
fait China Mieville avec son The city and the city.
Ici l’agglomération
tentaculaire n’a pas de ciel, mais un toit par-dessus les immeubles
intégralement constitué d’ampoules. Allumées pour un jour permanent dans
Soliade, le quartier qui voue un culte à la lumière. Eteintes – sauf quelques
unes qui font des constellations – dans Nocturna, la cité dortoir. Entre les
deux s’étend une bande urbaine que l’on ne traverse qu’en train, appelée
Crépuscule. Un territoire interdit couvert de brume.
Jeff Noon aurait pu s’arrêter
à cette idée. Mais il y ajoute le concept de chronologies séparées. Ainsi chaque
entreprise, commerce ou individu de la ville peut s'organiser selon des horaires
différents. Le citoyen pourra acheter des montres contenant diverses chronologies,
selon qu’il veut des heures plus longues ou plus courtes. Personne ne vit et ne
dort au même moment, et lorsqu’on entre dans une boutique, on change de chronologie
en réglant sa montre, puis on repasse à la sienne en sortant. Certains en
deviennent fous, perdus entre les temporalités multiples.
C’est dans ce contexte que le
détective John Nyquist part à la recherche d’Eleanor, jeune fille disparue, puis
tente de la protéger, persuadé qu’elle court un danger mortel. Le tout sur fond
de meurtres mystérieux, et bien sûr, lié au fameux Crépuscule.
Le lecteur pourra regretter
un dernier tiers un peu mystique, insistant sur l’intangible magique et atténuant le plaisir de l’enquête policière. Peu importe, la force du livre réside
surtout dans la description de cette ville triple et de ses chronologies, qui
délitent peu à peu l’esprit du détective. La cité décrite est l'allégorie de notre
monde chronométré, survolté, où l’habitant coincé entre sommeil et travail répugne
à considérer l’alternative entre les deux, la brume des inadaptés et des rêves maudits.
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