Autres ouvrages de Jeff Noon : Vurt, Intrabasses
Paru en France en 2021

Le dernier Jeff Noon s’éloigne quelque peu des thèmes cyberpunk de certains de ses ouvrages passés, quoi qu’il en conserve une partie de l’ambiance psychédélique et hallucinatoire. Avec Un homme d’ombres, c’est un polar noir hard-boiled qui est proposé. On sent un jeu volontaire sur les poncifs puisque le détective privé John Nyquist est typique de l’enquêteur abrupt et désabusé, gueule cassée portée sur l’alcool et aux pensées amères.

 

Evidemment ce ne serait pas du Jeff Noon si l’on n’avait affaire qu’à une intrigue policière. Le point fort de l’ouvrage est de nous amener dans une cité concept, un peu comme l’avait fait China Mieville avec son The city and the city.

 

Ici l’agglomération tentaculaire n’a pas de ciel, mais un toit par-dessus les immeubles intégralement constitué d’ampoules. Allumées pour un jour permanent dans Soliade, le quartier qui voue un culte à la lumière. Eteintes – sauf quelques unes qui font des constellations – dans Nocturna, la cité dortoir. Entre les deux s’étend une bande urbaine que l’on ne traverse qu’en train, appelée Crépuscule. Un territoire interdit couvert de brume.

 

Jeff Noon aurait pu s’arrêter à cette idée. Mais il y ajoute le concept de chronologies séparées. Ainsi chaque entreprise, commerce ou individu de la ville peut s'organiser selon des horaires différents. Le citoyen pourra acheter des montres contenant diverses chronologies, selon qu’il veut des heures plus longues ou plus courtes. Personne ne vit et ne dort au même moment, et lorsqu’on entre dans une boutique, on change de chronologie en réglant sa montre, puis on repasse à la sienne en sortant. Certains en deviennent fous, perdus entre les temporalités multiples.

 

C’est dans ce contexte que le détective John Nyquist part à la recherche d’Eleanor, jeune fille disparue, puis tente de la protéger, persuadé qu’elle court un danger mortel. Le tout sur fond de meurtres mystérieux, et bien sûr, lié au fameux Crépuscule.

 

Le lecteur pourra regretter un dernier tiers un peu mystique, insistant sur l’intangible magique et atténuant le plaisir de l’enquête policière. Peu importe, la force du livre réside surtout dans la description de cette ville triple et de ses chronologies, qui délitent peu à peu l’esprit du détective. La cité décrite est l'allégorie de notre monde chronométré, survolté, où l’habitant coincé entre sommeil et travail répugne à considérer l’alternative entre les deux, la brume des inadaptés et des rêves maudits.

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