Paru en France en 2020

 

Peter Watts avait habitué à des ouvrages épais, denses et complexes. Eriophora détonne dans la production puisque c’est un roman très court – une novella, même, selon l’auteur – et très accessible. L’ensemble se lit quasiment d’une traite, avec les codes du page turner et un côté hard science bien moins prononcé que dans la trilogie des Rifteurs, dans Vision Aveugle ou encore Echopraxie.

 

Nous suivons le voyage sur des millions d’années d’un astéroïde habité, l’Eriophora, propulsé par un moteur à trou-de-ver à travers la Voie Lactée, avec ses trente mille opérateurs humains et son intelligence artificielle nommée Chimp. L’objectif de cette interminable équipée est de tisser entre les étoiles un réseau de portails permettant aux descendants de l’humanité de voyager plus vite que la lumière.

 

Descendants qui n’existent peut-être déjà plus, tandis que les occupants humains traversent le temps, n’étant sortis de congélation que de temps à autre, par tout petits groupes. L’immensité de la période temporelle embrassée est très bien rendue. Nous suivons l’évolution de la narratrice Sunday, d’abord confidente de l’intelligence artificielle, mais qui réalise peu à peu que toutes les vies humaines sont confiées à un programme arbitraire. Jusqu’à participer à un projet de mutinerie fomenté par son amie Lian. Ce qui n’est guère aisé quand le sommeil dure des centaines de milliers d’années et qu’on est à la merci d’un code informatique surveillant vos faits et gestes.

 

Même si ce récit est plus simple, Peter Watts fait du Peter Watts et interroge une fois de plus la notion de libre arbitre. Celui de l’humain face à la machine, ou bien face à la suspicion de ses semblables, celui de la machine elle-même face à ses propres algorithmes. Et encore une fois, l’auteur fait mouche, poussant le lecteur à douter. De plus, l’histoire va comporter quelques jolis coups de théâtres et autres twists narratifs.

 

On regrettera que la vie à bord de l’astéroide soit si peu décrite. Alors que les évènements extérieurs comme les phénomènes cosmiques et la construction des portails sont plutôt bien amenés, on ne perçoit que très peu l’environnement de l’Eriophora, on ne sait ce que ses habitants mangent et l’on entrevoit à peine leurs loisirs.

 

Malgré ces quelques manques qui auraient pu nous faire davantage percevoir la vie à bord, Eriophora est un excellent roman / novella, plus que chargé de sense of wonder, ne serait-ce que par les échelles de temps et les dimensions du vaisseau. Il sera jouissif pour le féru de science-fiction tout en étant très accessible au grand public.


Note : il existe un jeu de piste à l'intérieur du livre menant à une nouvelle sur internet qui complète le récit. Comme ce jeu a tendance à fatiguer les yeux, voici le lien que j'ai trouvé vers la nouvelle en VO. J'ignore s'il existe une version en français. https://rifters.com/Eriophora-Root-Archive-Log-Ahzmundin-frag/derelict.htm